jeudi 31 janvier 2013

Remettre les compteurs à l'heure

(MàR#156)


Crise de la presse, multi-écrans, Internet … Comment réfléchir et décider d’une stratégie dans un paysage de plus en plus complexe et qui évolue très rapidement ? En revenant aux chiffres et en les mettant en perspective.


La presse écrite toujours en tête. Avec 9,15 milliards d’euros de CA en 2011, elle demeure le premier secteur des industries culturelles, devant la télévision. Mais son CA global a chuté de 16% depuis 2007 et est revenu au niveau de 1996. La crise de la presse est une réalité plus ancienne qu’on ne le croit.

Les contenus ont toujours une valeur pour les lecteurs. Entre 2007 et 2011, le CA diffusion de la presse française n’a diminué « que » de 7%. Ceci s’explique par des augmentations des prix de vente qui ont été globalement bien acceptées dans une période où l’information gratuite explosait, ce qui indique que la monétisation de contenus à vraie valeur ajoutée demeure pertinente.
Du point de vue des canaux de diffusion, le CA de la vente au numéro chute de 16% en 5 ans alors que celui des abonnements progresse de 4%. Les éditeurs y gagnent en trésorerie et en fidélité tout en constituant de précieuses bases de données.

La crise est avant tout publicitaire. 26% des recettes ont été perdues entre 2007 et 2011 et la tendance s’accélère avec – 8% au premier semestre 2012 selon l’IREP. La publicité commerciale est moins touchée que les annonces (- 24% contre – 33%) qui migrent massivement vers Internet. Pour les éditeurs, les promesses de la publicité numérique se font attendre. Lors de la dernière édition de « La Presse au futur », Patrick Eveno estimait, qu’actuellement, l’audience numérique ne rapporte qu’environ 5% de l’audience papier et qu’on ne voyait toujours pas apparaître « d’effet de seuil ». Le nouvel intérêt pour la vente de contenus en ligne s’explique.

La fracture numérique n’existe pratiquement plus. En 2012, 81% de la population disposait d’au moins un ordinateur à domicile (+ 3% en un an), portable dans 7 cas sur 10. Les 70 ans et plus demeurent les moins équipés (36%), mais l’écart diminue (+ 8% d’équipement en un an), comme pour les ménages à faibles revenus (59% d’équipement, + 10% en un an). 

Les supports nomades ne peuvent plus être ignorés. Un Français de 12 ans et plus sur trois est désormais équipé d’un Smartphone et la dynamique demeure forte (+ 12% en un an). 8% des Français possèdent des tablettes, soit un doublement en un an. L’information en mobilité n’est plus anecdotique.

L’audience TV continue de se fragmenter. 97% des Français ont accès à la télévision à leur domicile via un poste de TV. Mais 50% des possesseurs ont au moins 2 récepteurs (11% en ont 3 et 3% en possèdent 4 !). Par ailleurs, 21% des Français ont regardé la télévision sur un ordinateur et 8% sur un téléphone au cours des 12 derniers mois. Regarder la télévision devient un plaisir aussi solitaire que la lecture d’un magazine.

L’enjeu de la conquête du « budget temps ».  29% des Français estiment consacrer trop de temps à la télévision et 24% à Internet, alors qu’ils ne sont que 2% à penser de même pour la presse écrite comme pour les livres. A l’inverse, 60% de nos contemporains ont l’impression de ne pas consacrer assez de temps aux livres et 41% à la presse écrite. Si les « impressions » se transformaient en comportement, tous les espoirs seraient permis. Si …
 

jeudi 24 janvier 2013

Sale temps pour le web...


(Matière à Réflexion#155)

 
La parution quasi simultanée de deux livres, un manifeste et pas mal d’articles allant dans le même sens nous font prendre conscience qu’Internet est au moins aussi souvent perçu comme une fatalité ou « un mal nécessaire » auquel il faut bien s’adapter que comme le chemin de roses qui va nous conduire vers un avenir nécessairement radieux.


Dans « L’emprise numérique, comment Internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies » (Ed. L’échappée), Cédric Biagini nous révèle que les principaux dirigeants de Apple, eBay, Google, HP ou Yahoo ont confié leurs enfants à des écoles pratiquant la pédagogie Waldorf, basée sur l’utilisation du tableau noir, des livres, des crayons et des cahiers et qui exclue totalement tablettes et ordinateurs. Ainsi, ils donnent du crédit aux enseignants et experts pour qui les nouveaux outils numériques fragmentent l’attention, évacuent la recherche raisonnée d’informations, remplacent les faits et leur analyse par l’émotion du spectacle et appauvrissent le vocabulaire et l’orthographe sans lesquels il n’est guère possible de penser.

Dans un entretien donné au « Figaro » (5/01/2013), le philosophe Alain Finkielkraut va dans le même sens lorsqu’il déclare que « l’apprentissage est une incorporation, alors que le numérique est une mise à disposition (…) Loin d’être une solution, le numérique est un véritable problème. Il devrait venir après l’enseignement. S’il en tient lieu, il le dévaste, car il est une dispense d’apprentissage ».

Avec « Pris dans la toile. L’esprit au temps du web » (Gallimard/Le Débat), le philosophe et linguiste italien Raffele Simone considère également que le web et les différents supports numériques sont des « béquilles ». Il va plus loin en critiquant l’idéologie et les valeurs qu’il discerne au travers des postures des défenseurs d’Internet : la « démocratie numérique » qui ne serait qu’un « néo-néolibéralisme » ; les espoirs mis dans la technique et le progrès sans fin qui rappellent les idéologies du sens de l’histoire et leurs cortèges de malheurs ; les réseaux sociaux, « miroirs aux alouettes de la fraternité » ; l’accès inquisitorial à toutes les données personnelles ; l’acceptation de la disparition annoncée des marchands de journaux, disquaires, libraires, bibliothécaires qui conseillent et accompagnent, etc.

L’excellente revue « XXI » enfonce le clou avec son « Manifeste » qui explique la disparition de la valeur ajoutée de la presse par le flot continu d’information, la gratuité, la neutralité qui plait tant aux annonceurs, la culture des « formats ». Evidemment, Internet est en ligne de mire, mais aux côtés de la presse gratuite et de la télévision (dont il est l’avenir), ainsi que de tous les journaux et magazines payants qui jouent la carte du bimédia et acceptent la publicité (ce qui est bien manichéen).


A tous ces arguments, on pourrait, bien sûr, opposer autant de contre arguments. Ce qui est vraiment important dans ce débat qui s’ouvre, c’est justement le débat, le fait que l’on passe de la croyance obligatoire au doute méthodique, à l’observation et à l’analyse.



jeudi 17 janvier 2013

Dans la tête des cibles

(MàR #154)


Lorsque tout est remis en cause par tous, prendre en compte « l’état d’esprit » des consommateurs (d’informations, d’idées, d’émotions, de produits, de services…) leurs comportements et les valeurs vers lesquelles ils se tournent est évidemment essentiel.
Quelques pistes pour trouver le bon angle.


La fatigue.
Pour Marian Salzman, chasseuse de tendances et Pdg d’Havas PR USA, c’est la fatigue sous toutes ses formes qui marquera 2013 : fatigue physique bien sûr, mais aussi lassitude, impression d’être dans la survie, impossibilité de se relancer …

Le super stress.
Selon l’étude « 10 tendances pour 2013 » de l’agence JWT, cette vision très noire s’expliquerait par le « super stress » dû à la multiplication des facteurs de tension.


L’imperfection.
Selon les deux agences, la conséquence est, pour nos contemporains, le recours croissant à ce qui semble authentique (les marques qui ont une histoire à raconter, les témoignages…), proche (le localisme, la possibilité de s’identifier …) et raisonnablement atteignable (« les petits bonheurs »). Fait nouveau, cette tendance au repli se double désormais d’une acceptation/revendication de l’imperfection. Les légumes difformes ont la côte car ils semblent plus authentiques et plus sains ; les personnes en surpoids s’assument en tant que telles ; face aux experts, ceux qui ne savent pas n’hésitent plus à demander des explications claires.

Le « co ».
L’actualité française nous rappelle opportunément que la vie est une coproduction.
Pour Marian Salzman, 2013 sera l’année du « co » généralisé : face à l’isolement et au sentiment d’impuissance, l’esprit de partage et les micro communautés devraient prendre de l’importance dans tous les domaines : co-création, co-entreprises, colocation, réseaux de compétences, etc.
Ce que JWT complète en évoquant la montée du « Peer-to-peer power » et le rôle essentiel d’Internet.

Quelles conséquences sur la consommation des biens et services ?
Le « Marketing Book 2012 » de TNS Sofres ne permet pas de conclure que ces tendances lourdes auront des effets dévastateurs sur la consommation. Certes, TNS pointe en France l’émergence de la catégorie des « Rebelles » qui se partagent équitablement entre les « frugaux contraints », victimes de la crise, et les « frugaux volontaires », plus militants. Mais ces « Rebelles » sont très minoritaires face aux trois autres typologies analysées par le Marketing Book » : les « Jouisseurs », toujours amoureux des objets, des marques et du statut qu’ils confèrent ; les « Sécuritaires », toujours plus sensibles au « marketing de la peur » ; les « Responsables » qui sont prêts à payer plus cher pour des produits et services éthiques mais dont l’exigence augmente.
 

 

jeudi 10 janvier 2013

13 vœux pour 2013

MATIERE A REFLEXION #153

Que faudrait-il pour que le meilleur de 2012
soit le pire de 2013 ? Rêvons un peu …


1)    Accepter qu’il n’y ait pas de « modèle pour tous ». La mode du tout payant succède à celle du tout gratuit alors que tout démontre que chaque média doit trouver son propre modèle.

2)    Des « marques média » toujours plus diversifiées. L’expertise sectorielle, la capacité à produire des contenus experts et l’existence de données qualifiées sont des atouts qui restent insuffisamment exploités.

3)    De la communication d’entreprise recentrée sur l’entreprise. Il est bien sûr nécessaire pour les entreprises de parler de leur politique de développement durable et de leurs engagements sociétaux, mais, en période de crise, collaborateurs et clients attendent qu’elles leur parlent d’abord métiers, marchés, stratégies et produits.

4)    Des ouvertures de points de vente au numéro. La baisse des ventes au N° constatée par les éditeurs est 2 fois plus importante que la baisse du CA presse des points de vente. 50% de la perte n’est donc pas due à la désaffection des lecteurs mais à l’impossibilité de trouver facilement journaux et magazines.

5)    Des RP qui ne remplacent pas la pub. La crédibilité éditoriale des magazines ne doit pas conduire les annonceurs à tout jouer sur les relations presse. Pub et RP sont complémentaires et les éditeurs ont besoin des recettes publicitaires pour produire des contenus de qualité.

6)    Des évaluations des audiences qui soient aussi qualitatives. Un internaute ou un lecteur de gratuit n’a pas la même « valeur » qu’un acheteur de presse. Il faut réhabiliter les notions de « contexte d’information » et de « contrat de lecture ».

7)    Ne pas renoncer aux produits physiques. La valeur reste largement associée à l’imprimé de qualité qui, bien traité, propose une « expérience consommateur » sans équivalent.

8)    Utiliser Internet d’abord pour ses points forts. Bien sûr, Internet peut intégrer l’écrit, le son et l’audiovisuel, mais ses vraies différences sont les moteurs de recherche et l’interactivité.

9)    Ne plus attendre pour exister sur les supports numériques. La question n’est plus de savoir s’il faut être sur les Smartphones et les tablettes, mais de savoir comment y être.

10)  Des présences enfin raisonnées sur les réseaux sociaux. Arrêter de penser que l’on doit « y être », sans s’être demandé qui l’on est et à qui parler de quoi.

11)  Regarder ailleurs pour changer vraiment. Ce n’est pas chez le concurrent direct que sont les innovations qui changent tout, mais dans d’autres secteurs, d’autres métiers et d’autres pays.

12)  En finir avec les querelles de gaulois. Même face aux géants tels que Google ou Apple, les petits que sont les médias traditionnels peuvent marquer des points s’ils agissent ensemble. Jamais les organisations professionnelles n’auront été aussi importantes.

13)  Investir dans la recherche de sens. Sauver le court terme est nécessaire mais bien insuffisant. Les études et les conseils d’experts ne sont un luxe pour personne.