jeudi 30 août 2012

Vive toute la presse à l’école !

(MàR#137)

Avec la rentrée des classes, la question de l’illettrisme va à nouveau se retrouver à la Une des médias. A juste titre, puisque ce fléau concerne, en France, 3,1 millions de 18-65 ans et 4,9% des moins de 17 ans. Pour le combattre, la presse imprimée est une arme que prennent insuffisamment en compte les experts et les politiques.

Lors du colloque « Pouvoir lire le monde » organisé par la Fondation SNCF en mars dernier, plusieurs intervenants ont souligné qu’au delà des questions de moyens et de méthodes, l’apprentissage de la lecture n’était possible que lorsque les jeunes comprenaient l’intérêt de savoir lire. Si l’on accepte que la fin justifie les moyens, force est de constater que les débats d’idées suscitent moins d’intérêt que les performances des sportifs, les potins des peoples, les coulisses d’un métier ou les faits divers. Faire lire en activant le ressort de l’intérêt serait donc plus facile à partir des différentes formes de presse plutôt qu’avec les classiques de la littérature.
La seconde source de motivation est l’imitation d’un modèle. Or, ce modèle n’existe pas lorsque les parents (et parfois les enseignants) ne lisent pas devant les enfants, et lorsque « les grands » construisent leur réputation en détruisant les manuels scolaires. Mais lorsque les « modèles » ne lisent plus de livres, ils continuent le plus souvent d’avoir une relation forte et régulière avec la presse qui correspond à leurs centres d’intérêt. S’il s’agit de faire lire, est-il important que le « modèle » ne s’intéresse qu’à la presse hippique ou à la mode ?

Lors du même colloque, le Professeur Meirieu a rappelé qu’il n’était pas possible de « séparer le décodage de l’encodage » et que « pour bien apprendre à lire, il faut en même temps apprendre à écrire ». Ici encore, dans notre monde utilitariste, l’implication passe par la proximité et la valeur d’usage perçue, ce qu’a illustré l’écrivain et académicien Eric Orsenna en révélant que, lorsqu’il animait des ateliers d’écriture, il organisait des championnats de lettres d’injures et de lettres d’amour qui remportaient toujours un énorme succès !

On entend souvent dire que les SMS et Internet ont sauvé l’écrit, et donc la lecture puisque l’un ne va pas sans l’autre. Ce n’est pas exact pour Bruno Germain, Chargé de mission Maîtrise de la langue française au Ministère de l’Education nationale. En effet, la lecture numérique serait beaucoup plus complexe pour ceux qui maîtrisent mal la lecture « papier » et se perdent rapidement dans les liens hypertextes, les sons et les vidéos. Pour ce spécialiste « on n’apprend pas à lire ou à écrire sur Internet, on doit d’abord apprivoiser l’outil numérique et se l’approprier en mettant en œuvre des compétences (…) qui permettront la navigation, l’échange et l’exploitation pertinente des données ».

Même si ce n’est évidemment pas la panacée, la présence de la presse imprimée à l’école est donc un moyen de lutter contre l’illettrisme. Sous réserve (et ce ne sera pas une mince affaire) que les pouvoirs publics et les enseignants comprennent que cette présence ne peut pas se limiter à la presse d’information politique et générale, mais doit concerner toutes les publications susceptibles de donner envie de lire.

jeudi 23 août 2012

L’autruche qui joue au Millionnaire

(MàR#136)

C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’une tour, et qui, à hauteur du 30ème étage, dit à un autre homme effrayé qui le voit passer devant sa fenêtre : « Pour le moment, ça va ! ».

La presse est comme cet adepte de la méthode Coué :
  • La crise des messageries va fortement augmenter le coût de la vente au numéro mais, pour le moment, ça va …
  • Les coûts postaux vont bientôt peser beaucoup plus fortement sur la rentabilité des abonnements mais, pour le moment, ça va …
  • La publicité louche du côté des Pure Players et les offres numériques de la presse sont loin d’être toutes pertinentes et attractives mais, pour le moment, ça va …
  • Le renouvellement de l’offre tient plus de l’imitation que de l’innovation (combien de nouveaux magazines sans valeur ajoutée dans les familles people, maison, histoire, etc ?) mais, pour le moment, ça va …

« Ça va » est un langage d’autruche qui joue au Millionnaire

On peut bien sûr croire à une reprise économique rapide et puissance, que Presstalis, les MLP et La Poste trouveront la martingale permettant de faire baisser les coûts de distribution et de diffusion, qu’un quinquennat pluvieux et le désintérêt pour Facebook vont ramener nos contemporains à la lecture, que les tablettes sont une planche de salut inespérée ou que des contenus qui peinent à fédérer des audiences gratuites se vendront très cher demain. On peut …
On peut aussi faire preuve de lucidité : d’ici 3 à 5 ans, les revenus traditionnels des éditeurs (diffusion et publicité) auront baissé de 15 à 30%. 3 ans, c’est demain, et perdre 30% de son poids est une cure d’amincissement qui peut tuer même les bien portants.

Face à ces constats, la priorité des éditeurs doit désormais être leur diversification.

Celle-ci ne doit plus se résumer à quelques hors-série ou « opérations spéciales » mais s’inscrire dans une stratégie à long terme, cohérente avec le métier de base : produire et monétiser des informations et des « datas » ; commercialiser des audiences ciblées ; faire vivre les marques médias sur les territoires où elles sont légitimes lorsqu’elles sont créatrices de valeur ajoutée.

La mise en œuvre de cette stratégie implique des réflexions collectives au travers des organisations professionnelles et, pour chaque acteur, des investissements significatifs en études et en apports d’experts.

Le jeu en vaut la chandelle : il y a 3 ans, une étude Presse Pro/Seprem Etudes indiquait que les diversifications des marques de presse professionnelles représentaient en moyenne 20% de leur CA. Et, cet été, le groupe « Le Télégramme » a fait savoir que 50% de ses revenus provenaient désormais d’activités dérivées.