jeudi 26 avril 2012

Les nouvelles clés de l’innovation

(MàR#125)


Dans un monde où tout se sait, se fait et se transmet de plus en plus vite, innover est devenu l’obsession des industriels, des médias, des communicants et des politiques.
Pourtant, « le progrès » fait de moins en moins rêver des « citoyens consommateurs » pour qui le vrai changement consisterait à changer moins, mais mieux. Comment répondre à leurs attentes ?

L’interview donnée à « Influencia » par le sociologue et chercheur Stéphane Hugon donne quelques précieux éclairages.

Il différencie clairement « l’innovation » de « l’invention » qui, malgré les distinctions qu’elle apporte à ses auteurs dans les cercles scientifiques comme au concours Lépine, ne trouve pas souvent son public. Derrière cette distinction, on retrouve une critique de la technique initiée il y a quelques décennies par Jacques Ellul. Ce n’est pas parce qu’une nouvelle technologie permet de faire quelque chose qu’il faut nécessairement l’appliquer. Et ce n’est plus parce que l’on promet un « progrès » que les consommateurs s’approprieront automatiquement l’innovation proposée.


Pour Stéphane Hugon, le social l’emporte aujourd’hui sur le technique. Il n’y aurait de véritable innovation que lorsque la technique permet de cristalliser de nouvelles relations sociales, de
« révéler de nouveaux imaginaires », de répondre plus facilement à des façons d’être et de vivre.
En appui de son discours, notre sociologue pose 2 questions qui sont de véritables « matières à réflexion » :
  • Dans les années 60, est-ce la possibilité technique de fabriquer des transistors peu chers et sans fil ou les aspirations des jeunes à plus d’autonomie sociale et culturelle qui expliquent la disparition très rapide des gros postes de salons devant lesquels toute la famille se rassemblait religieusement ?

  • Des nouvelles interfaces ou des aspirations diffuses mais fortes à communiquer autrement, qu’est-ce qui explique vraiment le succès planétaire du Web 2.0 ?

Désormais, l’innovation n’est plus l’apanage des scientifiques et des marketeurs à l’ancienne.
A l’origine des innovations qui réussissent, on trouve de plus en plus souvent des « bidouilleurs » qui ont largement compensé leurs déficits techniques par une connaissance intime des groupes de consommateurs auxquels ils s’adressent (et dont ils font ou ont fait partie).

Stéphane Hugon estime donc, qu’aujourd’hui, « la première étape d’un processus d’innovation consiste à ne rien faire et à observer la façon dont vivent les gens ». C’est bien vu, si ce n’est qu’observer n’est pas rien faire, loin de là : les études qualitatives ont de beaux jours devant elles !

jeudi 19 avril 2012

Et si l’on cassait le rétroviseur ?

(MàR#124)


Les débats autour des Présidentielles, de la crise économique ou de la mutation des médias illustrent parfaitement la capacité des stratèges de tous poils à scruter le rétroviseur pour y trouver des solutions pour l’avenir. Est-ce bien raisonnable lorsque « le monde d’après », dans lequel nous sommes entrés, n’a plus grand chose de commun avec la modernité qui s’achève ?

D’où qu’ils viennent, les discours sur la méthode dont on nous abreuve ont trois points communs : la quête obstinée des recettes des succès d’hier pour préparer ceux de demain ; l’idée qu’il suffit de « prolonger les courbes » pour anticiper sans risque ; la prudence et l’attente lorsque tout bouge trop vite.

Cette méthode n’est pas la bonne, comme le souligne Philippe Bloch dans « l’Expansion » (mars 2012) en rappelant que  « Jamais nous n’avons eu autant d’outils d’analyse, et jamais nous n’avons si peu compris » et que « Nous avions prévu le probable, et c’est l’impossible qui s’est réalisé ».

Ce que nous appelons « crise » n’en est pas une, car nous n’avons pas affaire à des accès de fièvre qui finiront bien par se calmer. La seule observation de la « révolution Internet » suffit pour comprendre que l’on ne reviendra pas en arrière, et que nous assistons bel et bien, et dans tous les domaines, à « la fin d’un monde ».

Pour autant, la fin « d’un » monde n’est pas la fin « du » monde. Comment s’adapter ?

Pour Philippe Bloch, « L’homme providence, persuadé de sa capacité à dominer la nature et les événements, va devoir faire place à l’homme du destin, celui qui accepte de faire avec l’incertitude ». C’est le grand retour de la vision tragique de la vie chère aux anciens grecs.

Ceux qui gagneront demain ressembleront sans doute aux aventuriers de l’Internet qu’il ne faut surtout pas évaluer à partir des critères d’hier. Ils ont créé sans prudence et avant tout pour le plaisir de faire ; ils ont vu dans les ruptures technologiques et sociales des moyens de poser des diagnostics pertinents et des possibilités de transformer des niches en boulevards ; malgré des revers nombreux, ils portent un regard résolument positif sur le monde et conservent des vitalités d’adolescents et la capacité de « rêver en grand ». Enfin, comme Claude Lévi-Strauss qu’ils n’ont peut-être pas lu, ils savent que « Les grand moments fondateurs sont toujours des moments de bricolage » et pourraient dire avec Jean Cocteau : « Nous ne savions pas que c’était impossible, alors nous l’avons fait ». 

Nous n’avons plus le choix : il va falloir oser.