Pendant plusieurs semaines, une multinationale qui compte 420.000 salariés et 1,2 milliard de clients (+1,3% par an) a fait la Une de l’actualité mondiale à l’occasion de la démission de son Pdg et de la désignation de son successeur. Le tout en latin, dont on découvre à cette occasion qu’il est bien vivant pour une langue dite « morte » !
L’élection du
successeur de Benoît XVI est l’occasion de s’interroger sur le rôle que jouent
les langues pour installer des façons de penser et des manières d’être, fédérer
des communautés et, finalement, vendre des produits ou des idées au plus grand
nombre.
Certes, le latin
n’a pas la puissance de l’anglais (ou plutôt du « globish »). Il
compte très peu de locuteurs, même si « Astérix »
et « Harry Potter » sont
disponibles en latin et si la radio nationale
finlandaise propose une émission en latin écoutée chaque semaine par
plus de 75.000 personnes. Et son avenir semble plutôt compromis, même si
plusieurs associations militent pour que la langue de Ciceron devienne la
langue de l’Europe, à l’instar de l’hébreu qui est redevenu une langue vivante
il y a un siècle seulement et représente aujourd’hui l’unité d’un peuple et un
des moyens importants de son influence.
Ne plus être parlé
n’empêche cependant pas une langue de continuer à être vivante et influente.
Contrairement aux
idées reçues, le latin reste une langue bien vivante, qui évolue pour décrire
le monde moderne : il y a quelques années, le journaliste Pierre Georges
rappelait dans « Le Monde »
que la langue latine s’était enrichie de 60.000 nouveaux mots au cours du XXème
siècle !
Le latin est aussi
une langue influente. C’est en effet toujours avec des termes latins que l’on
apprend la botanique, la zoologie, l’anatomie et une bonne part de la médecine.
Ce sont des formules latines qui aident toujours les philosophes à penser le
monde et les juristes à appliquer le droit. Enfin, le latin est aussi un
véritable « fils de pub » qui inspire les créateurs de noms de
marques telles qu’Actimel (d’activus,
« actif » et mel,
« miel »), Nivéa (la crème blanche et pure comme la neige), Volvo
(« je roule »), Audi (« être entendu »), Acer (« acéré »),
Navigo (« je navigue »), etc.
Alors que l’anglais
décline face aux langues latines (l’espagnol sera la première langue parlée aux
USA dans quelques années), faut-il donc se remettre au latin ? Ou, si ce
n’est pas le cas, quelle future langue dominante faut-il apprendre très vite
pour forger les concepts de demain, fabriquer des chansons qui feront consommer
des boissons gazeuses, trouver les mots et les accents qui feront adhérer à des
idéologies ?
Aucune, répond
Nicholas Oster dans son livre « The
last lingua franca » (Walter & Company 2010). Pour ce linguiste,
les progrès rapides de la traduction automatique et la généralisation des
outils nomades vont en effet très bientôt nous permettre de converser dans
toutes les langues au sein d’une nouvelle Babel, et donc de desserrer l’emprise
des langues dominantes.
Comme Charles Quint
au XVIème siècle, nous pourrons dire demain : « Je parle latin à Dieu, italien aux musiciens, espagnol aux
soldats, allemand aux laquais, français aux dames et anglais à mon
cheval ».