jeudi 14 mars 2013

La langue, outil de l’influence

(MàR by Seprem #162)


Pendant plusieurs semaines, une multinationale qui compte 420.000 salariés et 1,2 milliard de clients (+1,3% par an) a fait la Une de l’actualité mondiale à l’occasion de la démission de son Pdg et de la désignation de son successeur. Le tout en latin, dont on découvre à cette occasion qu’il est bien vivant pour une langue dite « morte » !

L’élection du successeur de Benoît XVI est l’occasion de s’interroger sur le rôle que jouent les langues pour installer des façons de penser et des manières d’être, fédérer des communautés et, finalement, vendre des produits ou des idées au plus grand nombre.

Certes, le latin n’a pas la puissance de l’anglais (ou plutôt du « globish »). Il compte très peu de locuteurs, même si « Astérix » et « Harry Potter » sont disponibles en latin et si la radio nationale  finlandaise propose une émission en latin écoutée chaque semaine par plus de 75.000 personnes. Et son avenir semble plutôt compromis, même si plusieurs associations militent pour que la langue de Ciceron devienne la langue de l’Europe, à l’instar de l’hébreu qui est redevenu une langue vivante il y a un siècle seulement et représente aujourd’hui l’unité d’un peuple et un des moyens importants de son influence.

Ne plus être parlé n’empêche cependant pas une langue de continuer à être vivante et influente.

Contrairement aux idées reçues, le latin reste une langue bien vivante, qui évolue pour décrire le monde moderne : il y a quelques années, le journaliste Pierre Georges rappelait dans « Le Monde » que la langue latine s’était enrichie de 60.000 nouveaux mots au cours du XXème siècle !

Le latin est aussi une langue influente. C’est en effet toujours avec des termes latins que l’on apprend la botanique, la zoologie, l’anatomie et une bonne part de la médecine. Ce sont des formules latines qui aident toujours les philosophes à penser le monde et les juristes à appliquer le droit. Enfin, le latin est aussi un véritable « fils de pub » qui inspire les créateurs de noms de marques telles qu’Actimel (d’activus, « actif » et mel, « miel »), Nivéa (la crème blanche et pure comme la neige), Volvo (« je roule »), Audi (« être entendu »), Acer (« acéré »), Navigo (« je navigue »), etc.

Alors que l’anglais décline face aux langues latines (l’espagnol sera la première langue parlée aux USA dans quelques années), faut-il donc se remettre au latin ? Ou, si ce n’est pas le cas, quelle future langue dominante faut-il apprendre très vite pour forger les concepts de demain, fabriquer des chansons qui feront consommer des boissons gazeuses, trouver les mots et les accents qui feront adhérer à des idéologies ?

Aucune, répond Nicholas Oster dans son livre « The last lingua franca » (Walter & Company 2010). Pour ce linguiste, les progrès rapides de la traduction automatique et la généralisation des outils nomades vont en effet très bientôt nous permettre de converser dans toutes les langues au sein d’une nouvelle Babel, et donc de desserrer l’emprise des langues dominantes.
Comme Charles Quint au XVIème siècle, nous pourrons dire demain : « Je parle latin à Dieu, italien aux musiciens, espagnol aux soldats, allemand aux laquais, français aux dames et anglais à mon cheval ».