(Matière à Réflexion#155)
La
parution quasi simultanée de deux livres, un manifeste et pas mal d’articles
allant dans le même sens nous font prendre conscience qu’Internet est au moins
aussi souvent perçu comme une fatalité ou « un mal nécessaire »
auquel il faut bien s’adapter que comme le chemin de roses qui va nous conduire
vers un avenir nécessairement radieux.
Dans « L’emprise numérique, comment Internet
et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies » (Ed. L’échappée),
Cédric Biagini nous révèle que les principaux dirigeants de Apple, eBay,
Google, HP ou Yahoo ont confié leurs enfants à des écoles pratiquant la pédagogie
Waldorf, basée sur l’utilisation du tableau noir, des livres, des crayons et
des cahiers et qui exclue totalement tablettes et ordinateurs. Ainsi, ils
donnent du crédit aux enseignants et experts pour qui les nouveaux outils numériques
fragmentent l’attention, évacuent la recherche raisonnée d’informations,
remplacent les faits et leur analyse par l’émotion du spectacle et
appauvrissent le vocabulaire et l’orthographe sans lesquels il n’est guère
possible de penser.
Dans un entretien
donné au « Figaro »
(5/01/2013), le philosophe Alain Finkielkraut va dans le même sens lorsqu’il
déclare que « l’apprentissage est
une incorporation, alors que le numérique est une mise à disposition (…) Loin d’être
une solution, le numérique est un véritable problème. Il devrait venir après l’enseignement.
S’il en tient lieu, il le dévaste, car il est une dispense d’apprentissage ».
Avec « Pris dans la toile. L’esprit au temps
du web » (Gallimard/Le Débat), le philosophe et linguiste italien
Raffele Simone considère également que le web et les différents supports numériques
sont des « béquilles ». Il
va plus loin en critiquant l’idéologie et les valeurs qu’il discerne au travers
des postures des défenseurs d’Internet : la « démocratie numérique » qui ne serait qu’un « néo-néolibéralisme » ;
les espoirs mis dans la technique et le progrès sans fin qui rappellent les idéologies
du sens de l’histoire et leurs cortèges de malheurs ; les réseaux sociaux,
« miroirs aux alouettes de la
fraternité » ; l’accès inquisitorial à toutes les données
personnelles ; l’acceptation de la disparition annoncée des marchands de
journaux, disquaires, libraires, bibliothécaires qui conseillent et
accompagnent, etc.
L’excellente revue « XXI » enfonce le clou avec son « Manifeste » qui explique la disparition de la valeur ajoutée de la presse par le flot continu d’information, la gratuité, la neutralité qui plait tant aux annonceurs, la culture des « formats ». Evidemment, Internet est en ligne de mire, mais aux côtés de la presse gratuite et de la télévision (dont il est l’avenir), ainsi que de tous les journaux et magazines payants qui jouent la carte du bimédia et acceptent la publicité (ce qui est bien manichéen).
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