jeudi 19 avril 2012

Et si l’on cassait le rétroviseur ?

(MàR#124)


Les débats autour des Présidentielles, de la crise économique ou de la mutation des médias illustrent parfaitement la capacité des stratèges de tous poils à scruter le rétroviseur pour y trouver des solutions pour l’avenir. Est-ce bien raisonnable lorsque « le monde d’après », dans lequel nous sommes entrés, n’a plus grand chose de commun avec la modernité qui s’achève ?

D’où qu’ils viennent, les discours sur la méthode dont on nous abreuve ont trois points communs : la quête obstinée des recettes des succès d’hier pour préparer ceux de demain ; l’idée qu’il suffit de « prolonger les courbes » pour anticiper sans risque ; la prudence et l’attente lorsque tout bouge trop vite.

Cette méthode n’est pas la bonne, comme le souligne Philippe Bloch dans « l’Expansion » (mars 2012) en rappelant que  « Jamais nous n’avons eu autant d’outils d’analyse, et jamais nous n’avons si peu compris » et que « Nous avions prévu le probable, et c’est l’impossible qui s’est réalisé ».

Ce que nous appelons « crise » n’en est pas une, car nous n’avons pas affaire à des accès de fièvre qui finiront bien par se calmer. La seule observation de la « révolution Internet » suffit pour comprendre que l’on ne reviendra pas en arrière, et que nous assistons bel et bien, et dans tous les domaines, à « la fin d’un monde ».

Pour autant, la fin « d’un » monde n’est pas la fin « du » monde. Comment s’adapter ?

Pour Philippe Bloch, « L’homme providence, persuadé de sa capacité à dominer la nature et les événements, va devoir faire place à l’homme du destin, celui qui accepte de faire avec l’incertitude ». C’est le grand retour de la vision tragique de la vie chère aux anciens grecs.

Ceux qui gagneront demain ressembleront sans doute aux aventuriers de l’Internet qu’il ne faut surtout pas évaluer à partir des critères d’hier. Ils ont créé sans prudence et avant tout pour le plaisir de faire ; ils ont vu dans les ruptures technologiques et sociales des moyens de poser des diagnostics pertinents et des possibilités de transformer des niches en boulevards ; malgré des revers nombreux, ils portent un regard résolument positif sur le monde et conservent des vitalités d’adolescents et la capacité de « rêver en grand ». Enfin, comme Claude Lévi-Strauss qu’ils n’ont peut-être pas lu, ils savent que « Les grand moments fondateurs sont toujours des moments de bricolage » et pourraient dire avec Jean Cocteau : « Nous ne savions pas que c’était impossible, alors nous l’avons fait ». 

Nous n’avons plus le choix : il va falloir oser.