jeudi 28 juin 2012

Les médias spécialisés sont mieux armés face à la crise

(MàR#133)


Inutile de se cacher derrière son petit doigt : pour les médias « historiques », la tendance n’est pas bonne. Mais les médias spécialisés professionnels et grand public ont des atouts qu’ils ne doivent pas tarder à utiliser.

Côté pub, Zénith Optimédia estime que les dépenses publicitaires progresseront de 4,3% au niveau mondial en 2012 mais de 1% seulement en France. C’est Internet qui tire cette croissance faiblarde, les médias historiques étant stables, ou en baisse pour la radio et le cinéma.
Certes, Zénith Optimédia prévoit une reprise en France avec + 2,7% en 2013 et + 3,2% en 2014, mais il est permis d’être dubitatif en ces temps troublés où tout peut arriver n’importe quand.

Côté diffusion, seule la presse est concernée, les autres médias étant très majoritairement gratuits pour leurs utilisateurs.
Selon Presstalis, la baisse des ventes au numéro ne s’est pas accentuée au cours des 12 derniers mois, mais elle ne s’est pas non plus réduite, malgré une actualité très riche qui a plus soutenu les quotidiens (- 4,4% en volume) que les magazines (- 7%). Et il se murmure que les 2 sociétés de messagerie de presse tablent sur une baisse en volume de la vente au numéro d’environ 25% d’ici à 3 ans.

Face à ces prévisions, les éditeurs n’ont pas d’autre solution que de s’atteler à la diversification de leurs activités, en s’appuyant sur ce qui nous semble constituer leurs 2 points forts potentiels : leurs marques et leurs bases de données.

Un média n’est une marque que s’il répond à 5 critères :
  • disposer d’une notoriété ciblée ;
  • avoir une image d’expert ;
  • offrir une vraie valeur d’usage ;
  • entretenir des liens affinitaires forts avec la communauté à laquelle il s’adresse ;
  • être reconnu par ses clients lecteurs et annonceurs comme légitime pour proposer de nouveaux produits et services.

Si ces conditions sont remplies, il pourra monétiser ce qui est gratuit ailleurs et rattraper les quelques points perdus du côté des recettes traditionnelles. Tout cela se mesure.

Pour qu’un média puisse se développer et se diversifier, il faut aussi - et de plus en plus - qu’il dispose de bases de données numériques qualifiées et actives :
  • Elles sont la clé de l’abonnement, de la vente de produits et services de toutes sortes et de la publicité ciblée ;
  • Elles sont le moyen d’une interactivité créatrice d’informations et de « data » commercialisables ;
  • Elles sont l’outil qui permet d’identifier les évolutions des attentes des communautés de clients et d’y apporter des réponses sécurisées par les tests.

Cette stratégie d’extension de marque appuyée sur les bases de données est évidemment plus pertinente pour les médias spécialisés (grand public et professionnels) que pour les généralistes qui auront de plus en plus de mal à se différencier face aux supports gratuits et à proposer des audiences massives. Mais ils ne doivent pas attendre.

jeudi 21 juin 2012

Brand, Content & Context

(MàR#132)


« Brand Content » est un « mot valise » dans lequel on fait entrer tout et n’importe quoi, mais dont l’attractivité ne se dément pas. Ce fort intérêt des marques et des agences ainsi que les interrogations des médias impliquent quelques clarifications.

« Brand Content » est le terme désormais utilisé pour désigner les contenus éditoriaux écrits, sonores ou audiovisuels directement produits par une marque dans un objectif de communication.
Il s’agit donc d’un champ différent de ceux de la publicité (qui joue la carte de la création visuelle et sémantique), de la promotion (qui vend une offre) et du parrainage ou sponsoring (qui accole une marque à un contenu préexistant).

La différenciation avec le publi reportage et les RP est moins évidente.
Le publi est bien un contenu éditorial, mais il est le plus souvent utilisé pour argumenter sur un produit et non pour traiter du contexte dans lequel celui-ci s’insère.
Quant aux RP, elles peuvent offrir aux médias des contenus et des contacts qui les incitent à s’intéresser à des univers dans lesquels agissent leurs marques clientes, mais elles demeurent aussi fortement utilisées pour obtenir que ces mêmes médias relaient des argumentations produit sans passer par la case publicité.

Une récente étude CSA réalisée à l’occasion du Campus TF1 permet de clarifier un peu les choses en identifiant les 3 attentes principales des annonceurs et des agences à l’égard du Brand Content : renforcer le positionnement de la marque (63%) ; travailler la « préférence de marque » (62%) ; augmenter la notoriété de la marque (60%).

Ces chiffres ont le mérite de fixer 3 règles simples mais essentielles :

  • Le positionnement de la marque se fait par rapport à son environnement. Utilisé dans cet objectif, le Brand Content ne doit donc pas uniquement parler de la marque mais surtout de l’univers et du contexte dans lequel elle propose ses avantages concurrentiels.
  • La préférence de marque ne peut concerner que ceux qui s’intéressent aussi aux marques concurrentes. Quelle que soit la qualité des contenus produits par les marques, ceux-ci ne joueront leur rôle que s’ils sont diffusés sur des médias fréquentés par les cibles visées et offrant donc des contextes de découverte favorables.
  • Enfin, augmenter la notoriété de la marque implique de prendre en compte l’autre élément de contexte qu’est le besoin de « puissance ciblée » (et donc de mesure). Si le contenu produit n’est pas lu, entendu ou vu par des audiences significatives de consommateurs concernés, il ne sert à rien.

Pour que le « Brand Content » réponde aux attentes d’efficacité, il suffit d’y rajouter un mot : « Context ».

jeudi 14 juin 2012

Internet redonne vie aux mythes éternels

(MàR#131)


L’entrée dans l’ère numérique est bien une révolution. Mais ce n’est pas une de ces révolutions qui font table rase du passé pour construire un monde nouveau. Pour Thomas Jamet, c’est  au contraire la notion de « retour à ce qui a été » qu’il faut privilégier pour comprendre ce nouvel univers et s’y mouvoir avec succès.


L’avènement d’Internet est le plus souvent perçu comme une apogée de la « modernité », cette vision du monde basée sur 2 convictions : le progrès est continu et bienfaisant ; la raison est le moyen parfait pour gérer les relations entre individus et entre groupes.

Dans son essai « Ren@issance mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur), Thomas Jamet, Président de l’agence Moxie, démontre brillamment que
cette vision « progressiste » est un contresens absolu et qu’Internet est bien la première manifestation de grande ampleur de notre entrée dans la « post-modernité », c’est-à-dire le retour à une vision du monde « traditionnelle », pleine de mystères, de passions et de miracles.

Avec Internet, abolir le temps et l’espace n’est plus un rêve ; nous faisons corps avec des communautés fédérées par des valeurs, des vécus et des signes communs ; nous nous engageons à nouveau en redécouvrant le prix des choses qui n’en ont pas ; nous participons à des rites initiatiques pour accéder à des mondes cachés et nous avons potentiellement accès à toutes les connaissances du monde. L’antiquité et le Seigneur des anneaux ne sont pas loin …

Lecteur attentif de Michel Maffesoli (qui préface son ouvrage), Thomas Jamet voit aussi dans Internet le retour de Dionysos. Le dieu du théâtre, du jeu et des excès est l’incarnation de tout ce qui nous déroute (« sortir de la route ») et nous oblige à regarder le monde autrement. Il est également le symbole de ces pulsions qui expliquent le désir et l’amour, mais qui ravivent aussi la peur de monstres devenus numériques (Ben Laden, les virus informatiques …).
Thomas Jamet a choisi : à Séguéla (« Internet est la plus grande saloperie qu’aient jamais inventé les hommes »), il préfère Lucrèce et les sages de l’antiquité (« Rien ne vient de rien, rien ne retourne à rien »). Et de cette « ren@issance mythologique » qui se met en place, il tire quatre conséquences qui doivent nous faire sérieusement réfléchir aux façons d’exercer nos métiers :

  • Nous entrons dans une société dominée par l’émotion.
  • Le sentiment d’étrangeté va se renforcer, l’imprévu est partout.
  • La fin de la « vérité » va entrainer une remontée du « religieux ».
  • La non connexion sera la nouvelle transgression.

jeudi 7 juin 2012

Face aux tablettes, 5 questions sur l’avenir des supports imprimés

(MàR#130)


Sous le très beau titre « Eteins ton livre, il est tard », le journaliste et people littéraire
Pierre-Louis Rozynès livre aux lecteurs du « Nouvel Economiste » d’intéressantes réflexions sur les tablettes numériques et les changements profonds qu’elles devraient provoquer dans l’écosystème du livre. A méditer par tous ceux qui produisent des supports écrits.


Les gros lecteurs seront-ils les derniers acheteurs des supports imprimés ?
A cette question, qui concerne aussi la presse, Pierre-Louis Rozynès répond par la négative. Les gros lecteurs s’intéressent aux contenus et non aux supports, ils fréquentent les bibliothèques plus que les autres et sont de gros utilisateurs des revues de presse. Pour eux, la question de la possession de « l’objet imprimé » ne se pose plus depuis longtemps.

Faut-il alors que les producteurs d’imprimés se recentrent sur les seniors ?
Sûrement pas, selon notre auteur. En effet, si les tablettes (de type iPad) sont achetées par toutes les classes d’âge, les liseuses (de type Kindle), qui ne permettent que de lire des livres et de la presse sur écran, sont majoritairement achetées par les plus de 55 ans. Ceux-ci plébiscitent la largeur de l’offre, mais aussi la possibilité d’agrandir les caractères pour un meilleur confort de lecture.

La question du support a-t-elle un sens si c’est la lecture qui tend à disparaître ?
Si l’on considère que la consultation des SMS, d’Internet, des modes d’emploi ou de la publicité sont aussi de la lecture, il est évident que l’on n’a jamais autant lu qu’actuellement. Ce n’est plus vrai si l’on se limite aux livres et à la presse. Pour Pierre-Louis Rozynès, ce n’est pas tant le support qui est en question que les raisons qui conduisent à lire : « On ne cherche plus à acquérir le savoir, mais à savoir où trouver l’information ».

Si la publication sous forme numérique est accessible à tous, les éditeurs vont-ils disparaître ? L’auto édition n’est pas une nouveauté et concerne aussi bien le livre que la presse (les fanzines) ou la musique (les auto produits). Il existe bien sûr des best-sellers électroniques auto-édités, mais ils sont aussi rares que les succès de livres « papier » édités à compte d’auteur, Pierre-Louis Rozynès souligne donc avec justesse que les éditeurs professionnels ont de l’avenir s’ils sont vraiment professionnels et capables d’évoluer.

Et si la diffusion en ligne de supports dématérialisés progresse, que vont devenir les libraires ?
Notre auteur rappelle que les libraires ont déjà vu 10% des ventes de livres « physiques » leur  échapper au profit des sites de vente en ligne. C’est beaucoup, mais moins qu’aux USA (30%) et bien moins que ce que représente l’abonnement par rapport à la vente au numéro pour la presse. Quant à la vente d’ouvrages dématérialisés, elle ne représente actuellement que moins de 2% des ventes de livres en France (10% aux USA). Mais il est clair que, lorsque le décollage se fera, les libraires qui n’auront pas diversifié leur activité risquent fort de souffrir.