jeudi 25 avril 2013

« Content is king »

(MàR #168)


Lorsque Bill Gates affirmait que « Content is king », il pensait vraisemblablement plus Internet que papier. A tort, comme le démontre le Palmarès des meilleurs magazines de l’année qui illustre la force et la singularité d’un média en perpétuel renouvellement et désormais présent sur tous les supports. 


Le prix du magazine de l’année qui va à « M le Magazine du Monde » est porteur de deux leçons. La première est qu’il faut savoir agir vite lorsque l’on a une vision et une conviction : il ne s’est écoulé que 3 mois entre la décision de lancer un magazine du week-end et son arrivée dans les kiosques. La seconde est qu’il ne faut pas avoir peur de l’écrit à l’heure des images et des tweets : les papiers de « M le Magazine du Monde » flirtent souvent avec les 25.000 signes !

Le fait que le prix de l’innovation couronne le mensuel « Néon » est une autre « matière à réflexion ». Etais-ce bien raisonnable pour un groupe spécialiste de la grande diffusion (Prisma Média) de lancer un magazine aux contenus très denses à destination des 25-30 ans ? La réponse semble bien être positive. Cette génération qui, contrairement à ce que l’on pense, lit beaucoup, mais gratuitement et sur écran, peut être séduite par un support payant s’il utilise tous les atouts du papier, et notamment la force de l’écriture et du visuel.

« Biba » obtient le prix « 10 années de succès » pour avoir fait progresser sa diffusion de 90% en une décennie. Comme leurs lectrices, les magazines féminins n’aiment pas trop afficher leur âge.
La vérité est que « Biba » a 33 ans et plusieurs liftings réussis à son actif qui démontrent que les magazines figurent parmi les rares produits susceptibles (comme les chats) d’avoir plusieurs vies.

Que le prix de la meilleure marque magazine aille à « Elle » n’est pas une surprise. L’esprit et les valeurs de l’hebdo vivent au travers de dizaines d’éditions internationales, du quotidien Web de la mode « Daily Elle », de sites et d’applications, de prix littéraires et autres, de présences massives sur les réseaux sociaux, d’une fondation d’entreprise qui œuvre pour l’éducation et la promotion des femmes, etc. Question : une marque uniquement numérique pourrait-elle se déployer aussi largement sans perte de valeur, d’utilité et d’attachement ?

Autre question qui donne à penser sur l’influence des médias imprimés : Arnaud Montebourg serait-il aussi irrémédiablement associé et à Armor-Lux et au « made in France » si la photo de Une du premier numéro du « Parisien Magazine » (Prix du coup éditorial 2013) avait été remplacée par une intervention télévisée ou une vidéo en marinière sur les réseaux sociaux ?

En décernant son prix du magazine passions à « So Foot » et son coup de cœur à « Causette »,  le Jury du Palmarès des Magazines de l’Année a également fait œuvre utile en nous rappelant que, non seulement les aventures de presse rentables demeurent possibles, mais que des façons aussi originales de traiter du sport et de la vie au féminin n’auraient sans doute pas pu s’exprimer au travers d’autres médias que la presse.

jeudi 18 avril 2013

Un « signal faible » à suivre : la déconnexion

(MàR#167)


Les « Pure Paper » tels que « Le Canard Enchaîné » et « XXI » doivent se réjouir : la déconnexion devient tendance. Est-ce bien raisonnable ? 


La France compte 9,3 millions de déconnectés, soit 18,3 % de sa population. La majorité d’entre eux sont en réalité des non connectés qui n’utilisent pas Internet parce qu’ils ne peuvent y avoir accès pour des raisons techniques ou financières, ou encore parce qu’ils se méfient d’une technologie qui permet de tout savoir sur eux, voire de les escroquer.
Ceux-là ne sont pas du tout tendance, à la différence des « Digital Detox », ces déconnectés volontaires auxquels l’agence Dagobert vient de consacrer une intéressante étude.


Même si la déconnexion curative n’est pas actuellement un mouvement de masse, le phénomène interpelle car il concerne essentiellement des populations jugées stratégiques par les médias, les annonceurs et les agences : des 25-49 ans, CSP+ et plus diplômés que la moyenne, qui revendiquent ce nouveau comportement comme un anticonformisme et une preuve de profondeur.

Les « Digital Detox » ont leur maître à penser, en la personne du bloggeur addict Thierry Crouzet qui a raconté dans un livre (imprimé) à succès ses 6 mois d’abstinence. Ils louchent du côté de l’Amérique qui dispose déjà d’un « National Day of Unplugging » et où des petits malins proposent (en ligne ?) des kits de « Social Rehab » et des cures de désintoxication numérique mêlant le travail sur soi et le sport à la redécouverte du corps et du plaisir de pousser des grands cris dans la nature.

Pour ne pas rester au bord du chemin, les marques s’adaptent. Dans son étude, l’agence Dagobert donne des exemples édifiants : une chaîne d’hôtels garantis non connectés ;  Burger King qui offre un de ses sandwiches à ceux qui ont le courage de sacrifier 10 amis Facebook ; Diesel qui promeut ses baskets en moquant les chaussures connectées de Nike ; Volkswagen qui vient  de décider que les BlackBerry de certains de ses collaborateurs ne pourront plus recevoir de courriels professionnels en dehors des heures de bureau ; les barres chocolatées Kit Kat qui installent dans les espaces publics des aires de repos « no wifi » pour inciter à retrouver les plaisirs de la conversation « physique » (qui est souvent l’amie du grignotage), etc.

Les défenseurs du « monde d’avant » ne doivent pas pour autant se réjouir. Les « Digital Detox » ne rejettent pas Internet, mais l’addiction à Internet. Pour les amateurs d’acronymes anglo-saxons, ils veulent rompre avec le FOMO (« Fear Of Missing Out ») au profit du JOMO (Joy Of Missing Out) qui consiste à ne plus utiliser le web que par plaisir et utilité.


Pour se reconnecter avec les « Digital Detox » et éviter que les connectés ne soient tentés de se débrancher, les marques et les médias doivent écouter les conseils de l’agence Dagobert : être celui qui ne harcèle pas en supprimant la sur-sollicitation qui entraine la « e-pression » ; éviter de s’exprimer en ligne à tout bout de champ et sans vraie raison ; ne proposer des interactivités que lorsque elles apportent vraiment un surcroit d’utilité ou de plaisir et non des complications de navigation ; veiller à la cohérence « On/Off » en laissant aux produits physiques toute leur place.




jeudi 11 avril 2013

La presse, moteur du développement des e-books

(MàR#166)

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En France, les e-books ne représentent que 0,6 % du marché global du livre, alors plus de 100.000 œuvres sont disponibles en format numérique, que 3,6 millions de tablettes (contre 1,5 million en 2011) et 300.000 liseuses ont été vendues en 2012 et que 41 % des possesseurs envisagent de lire des e-books. La presse commence à comprendre qu’elle a une carte à jouer.

Bien sûr, les ventes de e-books en France ont progressé de 80% entre 2011 et 2012 et le CA des livres numériques pourrait représenter 3% du marché du livre en 2015. Mais nous sommes très loin des Etats-Unis où un livre vendu sur cinq l’est en format électronique, ou de la Grande-Bretagne où les e-books représentent déjà 13% des ventes.

Les raisons sont connues : des prix souvent supérieurs à ceux des livres de poche qu’expliquent les différences de TVA et le désir des éditeurs de maximiser leurs marges ; le souhait légitime des professionnels de préserver le réseau des libraires ; la difficulté de promouvoir les e-books sans budget publicitaire ni mise en avant dans les points de vente.

Sans bruit, les éditeurs de presse testent le marché. En 5 ans, Médiapart.fr a publié une trentaine de e-books sur différents sujets d’actualité ; « Sud-Ouest » s’est lancé il y a 2 ans sur le thème du rugby et vient de transformer l’essai avec « L’affaire Cahuzac » ; « Libération » a publié l’année dernière 5 livres numériques dédiés à la présidentielle ; « Le Figaro » est en pleine promotion d’un livre numérique consacré aux débats sur le mariage homosexuel ; « Paris Match » fait le buzz avec un e-book consacré à son enquête sur le tableau « L’origine du monde » ; Atlantico.fr fête son deuxième anniversaire avec le lancement, en partenariat avec les éditions Eyrolles, d’une collection originale de résumés de livres conçus pour mobiliser 30 à 50 minutes d’attention …

Ces initiatives de la presse et des Pure Players généralistes doivent être suivies de près par les éditeurs plus spécialisés, qu’ils soient grand public ou tournés vers des cibles professionnelles.

Ils disposent en effet de contenus experts qui peuvent être repackagés, travaillent avec des journalistes qui peuvent devenir auteurs et peuvent faire de la vente directe via leurs supports imprimés et leurs bases de données.

Comme les médias d’information, ils peuvent adopter des politiques de prix bas, proches de ceux des applications qui ont pour défaut de ne se vendre qu’une fois ; les e-books créés à partir de contenus pré-existants sont commercialisés entre 1,90 et 3 euros et les inédits que prépare Atlantico.fr seront proposés à 6 ou 7 euros.

Enfin, pour ces éditeurs spécialisés, l’offre de e-books peut s’élargir aux ouvrages numériques conçus par d’autres, via leurs e-boutiques, et à la diffusion de « livres blancs » conçus par les annonceurs désireux de communiquer à partir de contenus informatifs.

jeudi 4 avril 2013

Soyons en avance, mais surtout pas trop

(MàR#165)



Les médias, les dircoms et, plus largement, tous ceux qui s’adressent aux « citoyens consommateurs » ont la conviction que, pour assurer le succès des marques, des produits ou des idées qu’ils promeuvent, leurs utilisations du numérique doivent avant tout privilégier les nouveaux canaux sur les bons vieux sites, SMS et courriels.
Le problème est qu’ils ne vivent pas sur la même planète que ceux auxquels ils s’adressent …

Exact Target a récemment rendu publics les résultats d’une étude américaine intitulée « Les marketeurs viennent de Mars » qui consistait à interroger en parallèle des consommateurs et des marketeurs sur leurs utilisations respectives des différents outils et canaux numériques. Comme c’est souvent le cas, cette étude « en miroir » révèle des décalages très importants entre les deux populations.

Pour les marketeurs, le Smartphone doit désormais être au cœur des stratégies d’information et de communication. Normal, ils sont plus de 90% à en posséder au moins un et ils ont tous en tête différentes études qui démontrent que les consommateurs avec Smartphones utilisent plus les applications, recommandent plus les produits et services, visitent plus de sites de réductions et utilisent plus de coupons mobiles. Mais ils oublient que 49% des consommateurs n’ont toujours pas de Smartphones et que, parmi ceux qui en détiennent, on compte une minorité de technophiles et une majorité qui n’en utilise que les fonctions voix et SMS, ou se limite à quelques applications pratiques.

Cette propension des marketeurs à se considérer comme représentatifs de l’ensemble des consommateurs a des conséquences très importantes sur l’efficacité des stratégies de communication qu’ils conçoivent.

Ainsi, selon Exact Target, lorsque 33% des consommateurs considèrent que leurs entreprises préférées devraient allouer plus de moyens à la communication utilisant de simples e-mails, 26% seulement des marketeurs pensent de même.

On retrouve les mêmes 7 points d’écart (12% pour les marketeurs contre 5% pour les consommateurs) pour l’importance qui devrait être accordée à Twitter par les marques préférées des interviewés.

Le décalage est encore plus fort pour l’importance accordée aux « contenus de marques » accessibles en ligne, pour lesquels 25% des marketeurs considèrent que les entreprises devraient plus investir, contre 14% seulement des consommateurs.

Mais c’est dans le domaine des applications que l’on trouve le record d’écart, avec 23% des marketeurs qui souhaitent que plus de moyens leur soient accordés, contre 7% seulement de consommateurs qui sont du même avis !

Bien sûr, les marketeurs doivent continuer à prendre des risques et à innover sur de nouveaux canaux dont l’importance sera peut-être majeure demain. Mais ils doivent aussi se souvenir que leurs propres attitudes et comportements ne sont pas représentatifs des cibles auxquels ils s’adressent.