jeudi 29 novembre 2012

La communication d’entreprise entre crise et opportunités

(MàR #149)

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En période de crise,  les chasseurs de coûts lorgnent du côté de la communication interne et de la communication corporate, invoquant la priorité à donner à « l’opérationnel ».
Ils ont tort, bien sûr. Mais, pour mieux se défendre, les dircoms et leurs agences pourraient réfléchir à leurs rôles au service de l’entreprise et aux façons de l’exercer.


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A l’issue de la remise des 26ème Grands Prix Communication & Entreprise, Laurent Sacchi, Directeur délégué à la Présidence de Danone, a posé la question qui fâche : Pourquoi le jury qu’il présidait a-t-il vu autant de dossiers de candidature en lien avec les mondes associatif, culturel et institutionnel ? Sous-entendu : pourquoi la communication d’entreprise est-elle si discrète où, lorsqu’elle est bien vivante, consacre-t-elle aussi peu de place aux dimensions techniques et économiques des entreprises, essentielles en période de crise ?

A ces questions, Dominique Wolton avait en partie répondu par anticipation dans « Le Monde Economie » (9/XI/2012) au travers d’un article intitulé « Pourquoi la communication des entreprises est devenue inaudible ».

Pour notre sociologue, la communication d’entreprise serait caractérisée par « des contenus faibles à destination de salariés récepteurs supposés ignorants, crédules, voire manipulables ».

Nous en serions arrivés là parce que les dircoms et leurs agences auraient préféré ignorer trois réalités difficiles à gérer :

  • Aujourd’hui, quels que soient leurs niveaux hiérarchiques, les salariés savent tout ou presque sur leurs entreprises ;

  • La crise alimente leur scepticisme, enlève toute crédibilité aux formules aseptisées et désacralise les directions ;

  • Les échanges en réseaux que permettent les nouvelles technologies ne sont pas compatibles avec la culture du secret et les hiérarchies traditionnelles.

Ce jugement sévère ne signifie pas que Dominique Wolton souhaite la disparition de la communication d’entreprise. Bien au contraire, il considère qu’elle a un rôle essentiel à jouer lorsque les menaces sur les parts de marché et les emplois impliquent  plus que jamais d’informer, de rassurer et de mobiliser les équipes.

Mais, pour que la communication d’entreprise retrouve de la crédibilité auprès des salariés, et donc de l’efficacité au profit de l’entreprise, il conseille à ses acteurs de respecter 3 règles :

  • Accepter de partager l’information et de limiter la langue de bois, puisque les salariés ont de toute façon l’information sur leurs entreprises et parce qu’ils ne croient plus à ce l’on pourrait qualifier de communication de diversion.

  • Passer de la « communication transmission » à la « communication négociation », c’est-à-dire accepter les points de vue contradictoires et les éventuels retours critiques.

  • Enfin, « comprendre que mieux mobiliser l’intelligence de tous ne signifie pas instaurer l’égalité », ce qui implique de savoir « faire cohabiter hiérarchie et négociation ».

jeudi 22 novembre 2012

Gloire et misères des Pure Players d’information

(MàR#148)


Le Reuter Institute for Study of Journalism de l’université d’Oxford vient de consacrer une intéressante étude aux Pure Players d’information en France, Allemagne et Italie.
La chaleur des hommages rendus à ces start up ne réchauffera pas le moral de leurs responsables financiers …


Cocorico ! La France sort vainqueur de cette étude, tant par le nombre de start up de l’information qu’elle a vu naître depuis le lancement d’Agoravox en 2005, que pour l’inventivité dont ont fait preuve ces nouveaux éditeurs en matière de modèles économiques.

On a ainsi vu naître (et parfois mourir) du « tout gratuit », du « tout payant » et une étonnante variété de modèles mixtes : actualités gratuites et archives payantes, ou l’inverse ; gratuité ou paiement selon la profondeur du traitement de l’information ; vente à l’article, au numéro numérique ou par abonnement ; gratuité ou paiement selon que les informations sont produites par des journalistes, des experts ou des internautes ; différences de tarifs selon que l’internaute adhère ou non à des services ou accepte de communiquer des données personnelles ; « Paywall », sites hyperlocaux, de type dijonscope.com, tournés vers les petits annonceurs, etc.

Les choses sont plus simples dans les deux autres pays étudiés.

En Italie, les Pure Players d’information se focalisent sur les opinions et les analyses, ce qui les dote d’audiences qualitatives et fidèles mais les coupe des recettes publicitaires, les annonceurs recherchant plutôt du volume et des contextes éditoriaux plus « lisses ».

En Allemagne, les Pure Players d’information ne parviennent pas à émerger face à la puissance des médias traditionnels qui se sont déployés sur Internet.
 
L’étude du RISJ pointe cependant 3 dénominateurs communs aux Pure Players d’information des 3 pays étudiés :
  • Le premier est l’excellence journalistique qui en fait de véritables médias d’influence.
  • Le second est un manque cruel de moyens pour innover et prendre des risques face aux éditeurs traditionnels présents sur le web.
  • Le troisième est l’absence généralisée de modèle économique convaincant, les recettes de publicité demeurant souvent anecdotiques et les recettes de diffusion tardant à décoller (le leader européen serait Médiapart avec 60.000 abonnés payants, ce qui est à la fois beaucoup et peu).


Conclusion de l’étude : l’avenir de ces nouveaux médias est plus qu’incertain s’ils demeurent de vrais Pure Players centrés sur l’information. Mais il est plus rose pour ceux qui réussiront à se faire épouser par un « vieux média » riche, ou s’ils entreprennent de diversifier leurs activités.

jeudi 15 novembre 2012

Le papier fait son intéressant

(MàR#147)

Fort de sa dimension polysensuelle, des valeurs associées à l’écrit imprimé et de la tendance à la rematérialisation qui pousse les marques à chercher à exister ailleurs que dans des univers virtuels, le papier se sent pousser des ailes.  Panorama d’innovations qui sont autant de « matières à réflexion ».

  • Chez Bayard, les magazines de la gamme « Today in English », traditionnellement livrés avec des cassettes, puis des CD, insèrent désormais dans leurs pages des flashcodes permettant d’accéder à des contenus audio permettant d’acquérir une prononciation « so british ».
  • Toujours en France, « Enjeux-Les Echos » a inséré sur une double page un écran de 2,4 pouces et 3 mm d’épaisseur assorti de mini haut-parleurs permettant de visionner des vidéos publicitaires de Citroën.
  • En Allemagne, le magazine « Novum » est parvenu à bluffer ses lecteurs designers et graphistes, pourtant au fait de toutes les innovations, en leur proposant une couverture modulable composée de 1.000 triangles flexibles reliés entre eux.
  • En Autriche, le dernier rapport annuel de l’association Austria Solar a été imprimé avec une encre qui ne permet pas de lire les textes à la lumière artificielle, les caractères n’apparaissant qu’à la lumière du soleil dont elle promeut l’énergie.
  • A Dubaï, Land Rover offre à ses acheteurs de 4 X 4 un guide de survie dans le désert qui peut être mangé après utilisation. Selon l’agence à l’origine du concept, l’encre et le papier comestibles auraient autant de valeur nutritive qu’un cheeseburger !
  • Aux USA, le rappeur Snoop Dogg a publié au printemps dernier un « livre à fumer », imprimé sur du papier à rouler, dont la couverture est en chanvre et le dos un grattoir d’allumettes.
  • Sous le titre « Probably the best ad in the world », Carlsberg publie dans différents pays une annonce expliquant comment transformer une simple feuille de papier en décapsuleur.
  • L’édition espagnole de « Enquire » a réalisé une couverture en « odorama » afin de transporter ses lecteurs dans les cuisines de El Bulli, le célèbre restaurant de Ferran Adria.
  • En Hongrie, « Magazine » a publié un numéro en forme de sac à main en papier glacé que les lectrices déplient pour le lire après l’avoir utilisé pour transporter leurs petites affaires.
  • L’édition brésilienne de « Play Boy » proposait récemment aux lecteurs de brancher leurs écouteurs sur la tranche du magazine pour écouter les confidences de la playmate. 
  • Sur toute la planète, l’encyclopédie Universalis abandonne ses éditions imprimées après avoir réussi son passage au numérique, et en profite pour faire des adieux lucratifs grâce au papier en publiant une ultime édition collector tirée à 999 exemplaires numérotés, vendue près de 1.500 euros.

jeudi 8 novembre 2012

Vers la fin de l’information gratuite ?

(MàR#146)


Baisse des recettes publicitaires, concurrence de Google, défiance croissante à l’égard des journalistes et des médias, crise économique … La presse française est confrontée à une de ces « conjonction des catastrophes » dont on ne sort que mort ou vraiment très différent. Tout indique aujourd’hui que, pour ceux qui préfèrent vivre, le salut passe par la fin des contenus gratuit.


Les audiences gratuites se monétisent mal.
Proposer de l’information gratuite sur Internet a un temps été perçu par les médias comme le moyen de fédérer des audiences très importantes pour les monétiser auprès des annonceurs. Mais les éditeurs ont aujourd’hui compris que cette démarche n’était pas la bonne pour au moins 3 raisons : aussi importantes soient-elles, leurs audiences gratuites ne permettent pas de rivaliser avec celles des moteurs de recherche et des sites de services ; le prix obtenu pour un contact généré via un support gratuit en ligne demeure très inférieur à ce qui est atteint avec un support payant, notamment imprimé ; enfin, la crise est désormais bien là, et ce sont les recettes publicitaires dans leur ensemble qui baissent.

La production d’informations gratuites en ligne peut nuire aux marques médias.
Lors des récentes Assises du Journalisme, plusieurs représentants de médias imprimés et Pure Players soulignaient que, lorsque l’objectif est d’être le plus souvent cliqué sur Google, la production journalistique change de nature : il faut en effet produire beaucoup et en quasi temps réel des brèves sans réelle expertise ni valeur ajoutée. Les conséquences sur l’image de la « marque mère » (et donc son achat sous forme imprimée) sont négatives : dégradation de l’image d’expert, moindre perception des fonctions d’analyse, perte d’affinité et, plus globalement, de « valeur perçue ».

Google est sans doute nécessaire aux médias, mais pas indispensable.
Plutôt que de batailler pour toucher des droits sur l’utilisation de leurs contenus, 90% des médias brésiliens ont simplement demandé à Google de les déréférencer. Leurs audiences en ligne n’ont baissé que de 5% mais les connexions directes sur leurs sites ont augmenté.

L’information en ligne se vend si elle apporte une vraie valeur ajoutée.
Aux USA, sur la période avril-septembre 2012, 55,5% des 1.613.865 ex vendus quotidiennement par le New-York Times l’ont été en format numérique. En valeur absolue, c’est le Wall Street Journal qui vient en tête avec 2.293.798 exemplaires numériques vendus chaque jour, soit au numéro, soit par abonnement au tarif de 79 €.

Bien sûr, la France n’est pas l’Amérique, les quotidiens ne sont pas des magazines et ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain. Mais tous les média peuvent au moins retenir une leçon de ces évolutions en cours : leur valeur est dans leurs contenus.